La laïcité, qu'est-ce que c'est ?
Le mot « laïcité » est récent, tout comme son emploi. II apparaît en 1871 : il indique la séparation et l'indépendance de l'état par rapport aux Eglises et aux religions. La laïcité est une philosophie et un mode d'organisation politique. Toutefois, le mot laïcité n'a fait que nommer une réalité ancienne ; libérer l'état de toute emprise confessionnelle ; délivrer l'école de la religion afin d'en faire un instrument de libération des hommes. Comme le proclamait le Comité national d'action laïque en 1981, la laïcité, c'est rejeter tout asservissement de la pensée. C'est apprendre à juger et décider par soi-¬même. C'est admettre qu'autrui peut penser différemment ; c'est reconnaître ce droit à ses propres enfants. C'est, en contrepartie, être et apprendre à être exigeant envers soi-¬même. La laïcité n'est pas une attitude partisane. Elle en est le contraire, elle appartient à tout le monde. Elle se fonde sur la confiance réciproque des hommes, et sur le respect Si la laïcité a pu acquérir, en France, la force de l'évidence, elle le doit aux hommes qui ont défendu la liberté de conscience.
Les grandes dates de la laïcité
Cette liste de dates n'est pas exhaustive, car tout n'a pas commencé en 1905 : l'état civil en France était laïcisé depuis 1792. La Commune de Paris avait proclamé la séparation de l'Eglise et de l'état le 3 avril 1871.
Le Code Pénal de 1810 avait interdit aux ministres de culte de procéder à un mariage si les futurs époux ne produisaient pas la preuve de leur mariage civil.
En 1881, le caractère confessionnel des cimetières est supprimé. Les lois de laïcité pour l'école publique datent de 1882.
A partir de 1884, à l'ouverture des sessions parlementaires, il n'y a plus de prières publiques.
En 1887, les obsèques civiles sont permises, le personnel des hôpitaux est laïcisé, les crucifix sont supprimés dans les Tribunaux. En 1889, le divorce est rétabli.
9 décembre 1905 : loi sur la séparation de l'Eglise et de l'état.
11 février 1906 : le Pape condamne la loi de 1905.
1940-1944 les valeurs essentielles de la laïcité sont bafouées par le gouvernement de Vichy.
1946 : constitution de la IV République dont le préambule précise : « L'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïc à tous les degrés, est un devoir pour l'état ».
1958 : constitution de la V République dont l'article 1 précise : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique, et sociale».
13 décembre 1973 : ratification par la France de la Convention Européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qui affirme le droit à la liberté religieuse individuelle et la liberté de le manifester publiquement.
1989 : premières affaires du foulard islamique dans les établissements scolaires ; le Conseil d'Etat indique que le « port par les élèves de signes d'appartenance religieuse n'est pas, par lui-même, incompatible avec le principe de laïcité » mais que ces signes ne doivent pas constituer un acte de provocation ou de prosélytisme.
2001 : Lionel Jospin et Jacques Chirac demandent que soit supprimée la mention des origines chrétiennes de l'Europe dans le préambule de la Charte Européenne des droits fondamentaux.
15 mars 2004 : la loi sur le principe de laïcité à l'école publique interdit les signes qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.
Quelles sont ses origines et son histoire ?
Notre civilisation, laïque, apparaît à la Renaissance, c'est-à-dire au moment où le pouvoir de Rome est ébranlé par la Réforme qui lui fait perdre son emprise totalitaire sur la vie politique et sociale. Le moine Martin Luther (1483¬1546) affirme le droit de la conscience individuelle, de porter un jugement en toute liberté, d'être elle-même juge de ses propres convictions religieuses. Dès lors, la religion catholique n'est plus la seule. Elle doit désormais compter avec d'autres religions chrétiennes le luthéranisme à partir de 1517, le calvinisme dès 1533 et l'anglicanisme en 1534.
C'est toutefois à partir du XVIII siècle qu'une lente rébellion prend forme contre l'absolutisme royal qui, au XVII siècle, avait atteint son apogée avec Louis XIV, appuyée au départ sur l'étude des textes grecs et latins.
L'Europe d'aujourd'hui doit davantage aux philosophes grecs qu'aux pères de l'Eglise.
La démocratie, la séparation des pouvoirs, la liberté de conscience ne viennent pas de l'Eglise catholique qui les a combattus, avec acharnement, pendant des siècles.
L'étude de l'histoire ancienne amène à la culture de la bible. Le savoir est, pour les philosophes de l'époque, source de progrès humain.
Pierre Bayle (1647-1706) déclare en 1682: " II est apparent qu'une société d'athées pratiqueraient les actions civiles et morales aussi bien que les pratiquent les autres sociétés (...) L'ignorance d'une premier être créateur et conservateur du monde n'étoufferait pas les lumières de la raison ».
Montesquieu (1689-1755 explique que les sociétés sont l'œuvre des hommes eux¬ mêmes. II développe la théorie de la séparation des pouvoirs.
Voltaire (1694-1778) est le défenseur de la liberté d'esprit, le dénonciateur infatigable du fanatisme religieux. En 1763, dans son essai d'éducation nationale, le Magistrat breton la Chalotais écrit: " l'enseignement de lois divines regarde l'Eglise mais l'enseignement de la morale regarde L'état. »
Rousseau (1712-1778) déclare en 1764 :" L'homme est né libre (...) Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme. La liberté est un droit naturel, et cette liberté ne peut être garantie que par la création d'un pacte démocratique : la souveraineté populaire, la seule qui soit vraiment légitime, trouverait alors sa libre expression. »
Diderot (1713-1784), philosophe matérialiste et athée, condamne le fanatisme et la tyrannie. II affirme l'existence d'un droit naturel indépendant de toute référence divine. Pour lui, l'idéal de chaque homme repose sur l'accord auquel les hommes peuvent toujours arriver par le dialogue. Diderot est le maître d'œuvre de l'Encyclopédie.
Condorcet (1743-1794) s'attache à définir les droits de l'homme. II élabore un plan d'organisation d'une instruction publique indépendante de tout dogme.
Que dit la loi du 9 décembre 1905 ?
La loi du 9 décembre 1905 marque, dans le domaine des institutions de la France, une étape importante. Elle met fin aux liens officiels établis par le Concordat de 1801 ; elle ne concerne pas seulement le catholicisme mais aussi les cultes israélites et protestants. La laïcité devient pour tous les citoyens une réalité concrète inscrite dans les textes législatifs et dans les faits.
l. LA LOI DE 1905 COMMENCE PAR LA PROCLAMATION DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE
Article 1
« La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ».
Cet article fait de la loi de 1905 une loi fondamentalement de liberté. II institue une liberté individuelle. Cette liberté de religion est l'un des éléments de la liberté de conscience.
Elle s'inscrit dans le cadre plus large de l'article 9 de la Convention Européenne des droits de l'homme, qui dispose que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
ll. LA REPUBLIQUE EST NEUTRE
La neutralité de l'Etat constitue l'élément essentiel de la « laïcité à la française ». Elle est inscrite dans le texte de la loi.
Article 2
« La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'Etat, des départements et des communes toutes dépenses relatives à l'exercice de culte »
Cette neutralité est inscrite dans le statut de la fonction publique qui interdit à l'agent administratif de faire état publiquement de sa religion dans l'exercice de ses fonctions.
« C'est la neutralité de l'espace public qui permet la coexistence harmonieuse des différentes religions » rappelait Jacques Chirac dans son discours devant la Commission Stasi, relatif au respect de la laïcité, le 17 décembre 2003.
Cependant, si la République ne reconnaît aucun culte, elle les connaît tous. En effet, la reconnaissance revêt ici un sens juridique, sur lequel il ne faut pas se méprendre. Elle signifie seulement que l'Etat n'a pas à distinguer entre les religions, par une reconnaissance de certaines d'entre elles seulement.
III. LA REPUBLIQUE N'IGNORE PAS LES CULTES
Le président de la République avec les représentants communauté juive
La République s'engage à « assurer la liberté de conscience et à garantir le libre exercice des cultes ». L'Etat est tenu, comme pour toute liberté publique, de garantir leur exercice.
Impossible donc d'assimiler la loi de 1905 à une totale privatisation de la religion. L'Etat reste le dernier ressort, l'instance suprême de régulation entre les cultes. La preuve en est donnée par le besoin des autorités publiques de disposer d'interlocuteurs religieux. La création du Conseil français du culte musulman est tout sauf la manifestation de la neutralité de l'Etat!
La Fédération protestante de France préconise même l'institution d'un Comité national des cultes et de la laïcité qui aurait tout à la fois un rôle de recensement des problèmes, de suivi des solutions, et d'instance supérieure de médiation.
IV. LA LOI DE 1905 N'ABORDE PAS LES QUESTIONS SCOLAIRES
Seuls trois articles concernent l'école : l'article 2 sur les aumôneries, l'article 28 sur les signes religieux et l'article 30 sur la neutralité de l'enseignement.
Article 2
« Pourront toutefois être inscrites aux dits budgets, les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
Article 28
« II est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit ».
Article 30
«Conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi du 28 mars 1882, l'enseignement religieux ne peut être donné aux enfants âgés de 6 à 13 ans, inscrits dans les écoles publiques, qu'en dehors des heures de classe.»
Si la question scolaire est peu abordée, c'est qu'elle a été réglée par la loi de Jules Ferry du 28 mars 1882 qui a posé le principe de la neutralité des programmes dans l'enseignement primaire. Elle supprime l'instruction morale et religieuse qu'elle remplace par une instruction morale et civique. Toutefois, l'école publique « respecte de façon absolue la liberté de conscience des élèves ». Le texte prévoit que les écoles« vaqueront un jour par semaine en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de donner, s'ils le désirent, à leurs enfants, l'éducation religieuse en dehors des édifices scolaires »
Le débat sur le voile est venu rappeler que l'école est le lieu le plus sensible de la mise en œuvre du principe de la laïcité. La loi de mars 2004, en excluant tous signes «ostensibles» tels que les voiles, kippas et grandes croix, a toutefois bien précisé que l'école est un « sanctuaire républicain », comme l'affirmait le Président Jacques Chirac, en recevant les membres de la Commission Stasi.
Président de la République et le Pape Jean-Paul II
La laïcité pour quoi faire ?
La laïcité défend particulièrement les valeurs de raison, de liberté, de tolérance et de paix.
La laïcité ne s'épanouit qu'au sein de sociétés habituées à la démocratie politique, comportant un espace public, qui sera un lieu de construction du discours politique.
II faut une place publique symbolique où s'affrontent les opinions de citoyens raisonnés et sensibles à l'intérêt général et une société traversée de contradictions assumées, avec ses associations, ses syndicats, ses médias et ses partis politiques.
Le projet émancipateur, que constitue la démarche laïque, est intimement lié à l'affirmation d'une autonomie de l'individu, égal en droit à ses semblables.
L'homme dispose de droits imprescriptibles, indépendamment de la reconnaissance par l'Etat qui doit, démocratiquement, garantir leurs exercices.
La France a fait, de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, le modèle laïc qu'elle propose.
II en découle l'impossibilité pour l'Etat de jouir, à l'instar des citoyens, de cette liberté religieuse. II ne peut effectivement remplir sa mission de garant qu'en étant lui¬ même radicalement neutre.
C'est parce que la société civile est le lieu de la tolérance que l'Etat doit s'imposer à lui-même une réserve religieuse.
La laïcité c'est enfin un état d'esprit, mélange de cultures du doute, de curiosités fraternelles, de compréhensions et d'interrogations, souci permanent de rendre la société plus acceptable.
Les organisations laïques
Très tôt, les militants laïcs ont éprouvé la nécessité de s'organiser. D'abord pour défendre leurs convictions, ensuite pour aider à leur mise en œuvre.
Deux grandes ligues
Créée par Jean Macé, la Ligue de l'enseignement s'est imposée comme l'une des inspiratrices des combats laïcs.
Fondée par le sénateur Trarieux en 1898, en pleine affaire Dreyfus, la Ligue des droits de l'Homme, quant à elle, a centré son action sur la défense de la liberté de conscience.
Un comité national d'action laïque
Créé par la Fédération de l'Education nationale, le syndicat des instituteurs et la Fédération des parents d'élèves des écoles publiques, il a, à son actif, l'organisation de la grande pétition laïque contre la loi Debré en 1960 qui devait recueillir 11 millions de signatures.
De nombreuses associations
A coté des organisations philosophiques et des associations pourvues d'une légitimité historique, toute une série d'autres organisations contribuent à dessiner les contours du militantisme laïc. L'Union rationaliste, fondée en 1930, la Libre pensée, dont les origines coïncident avec l'avènement de la II République et le Centre d'action européenne démocratique et laïque.
Biographies
Paul Sert : (1833-1886), ministre de l'instruction publique et des cultes entre 1881 et 1882, permet l'adoption des textes fondateurs.
Ferdinand Buisson : homme politique français (1841-1932), éducateur et Inspecteur général de l'instruction publique en 1878. II n'a cessé de lutter pour la laïcité et la gratuité de l'enseignement, ainsi que pour l'enseignement professionnel obligatoire.
Emile Combes: homme politique français (1835-1921). Président du Conseil de 1902 à 1905, il appliquera à la lettre aux congrégations les dispositions de la loi de 1901. Son action conduira à une rupture des relations diplomatiques avec le Vatican.
Georges Clemenceau : homme politique, participe à la commémoration de la victoire de 1918 à l'Hôtel de Ville de Paris, alors que, comme Chef du gouvernement, il avait refusé d'assister au Te Deum, célébré en la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Jules Ferry Ministre de l'instruction publique et Président du Conseil (1832¬-1893). A diverses reprises, entre 1879 et 1885, il est l'initiateur des principaux textes qui ont créé un enseignement laïque, gratuit et obligatoire. II contribuera à l'adoption de textes essentiels, comme la loi sur la liberté syndicale.
Jules Ferry
Léon Gambetta : avocat et homme politique (1838-1882). II est l'auteur du programme radical adopté à Belleville en 1869 qui inspira la vie politique nationale pendant plus de cinquante ans et dont les principaux thèmes sont
- la liberté de la presse ;
- la séparation de l'Eglise et de l'Etat ;
- l'instruction gratuite, laïque et obligatoire ;
Jean Macé : homme politique (1815-1896). II lance, en 1866, un appel au rassemblement de ceux qui souhaitent contribuer à l'enseignement du peuple. De cet appel, naîtra la ligue de l'enseignement.
Pierre Waldeck Rousseau: homme politique (1846-1904). II fut à l'origine de la révision du procès Dreyfus et de l'adoption de la loi de 1901 sur la liberté d'association. Ministre de l'Intérieur, il fit adopter la loi de 1884 sur la liberté d'association.
Franz Van der Motte
Président de la Commission des Lois du Parti Radical